Petit récit d’une découverte botanique côte-d’orienne

Publié par Bourgogne-Franche-Comté Nature, le 6 janvier 2025   22

Un projet d’herborisation entre amis autour de plans d’eau bourguignons a conduit à l’observation d’une oseille inédite pour la France.

Dans quel contexte a eu lieu votre découverte de Rumex ?

Nous programmons régulièrement des sorties informelles entre botanistes passionnés. Récemment, nous avons décidé de mener des prospections ciblées sur des espaces potentiellement riches en espèces rares : les parties exondées des bords des étangs. C’est ainsi que début août 2019, avec mon collègue Guillaume ADEUX, nous sommes tombés sur une sorte d’oseille un peu bizarre sur les grèves fraîchement mises hors d’eau du réservoir de Chazilly en Côte-d’Or. Nous avons prélevé un échantillon pour essayer de le déterminer et avons lancé des recherches en consultant des ouvrages et en mobilisant tout une chaîne de spécialistes. L’espèce jusque-là inconnue en France a finalement pu être identifiée : la Patience à feuilles étroites, Rumex stenophyllus pour le nom scientifique.

Quelle est l’importance de la station ?

Quand nous sommes retournés sur le terrain quelques jours plus tard pour compter les pieds de la plante et dresser une cartographie, nous avons pu dénombrer plus de 1 000 pieds. Une fois l’œil averti, nous avons été capables de constater qu’il s’agissait d’une véritable marée de Rumex ! Cela n’est pas si surprenant puisqu’on sait que l’espèce est commune en Belgique et en Allemagne où elle est classée comme espèce exotique. Alors pourquoi pas en France ! Lors d’un nouveau passage en 2022, nous n’avons en revanche retrouvé que quelques pieds. Le niveau du réservoir était très haut du fait de la remise en eau de la retenue. Quelques mois après notre découverte, le Conservatoire botanique national méditerranéen a à son tour signalé l’espèce dans le Sud. Elle est sûrement sous-observée ou confondue.

Quelles sont les caractéristiques de l’espèce ?

Elle possède de longues feuilles très ondulées et de grandes inflorescences vertes, ses fleurs ne possédant pas de pétales. Sa détermination est difficile, car elle nécessite un examen du fruit, doté d’ailettes dentées. Chez les Rumex, chaque espèce a un fruit spécifique. Rumex stenophyllus se développe dans les zones humides. C’est une plante exotique originaire d’Asie centrale, qui s’est sans doute naturalisée il y a des années. L’espèce n’apparaît pas pour autant envahissante, car les milieux auxquels elle est adaptée sont restreints et son développement ne semble pas problématique. Si l’on considère le temps qu’il a fallu pour qu’elle se ressème dans ces proportions, on peut en déduire que la station où nous l’avons rencontrée a plus de dix ans.

Johann LALLEMAND, Chargé d’étude préservation du patrimoine naturel au Jardin de l’Arquebuse de Dijon et botaniste indépendant chez Flore.Biodive21

Il peut arriver de trouver une espèce encore non inventoriée dans une région, mais il est exceptionnel de réaliser une découverte à l’échelle nationale ! Depuis que Rumex stenophyllus a été identifié, chaque fois que nous croisons un Rumex, nous nous posons la question de l’espèce. C’est l’une des raisons pour lesquelles le partage de données est si essentiel : désormais, les botanistes la cherchent. Il faut continuer les prospections sur les autres sites probables. Je suis sûr qu’elle est implantée ailleurs en France. D’un étang à un autre, les graines peuvent facilement être transportées par le courant ou les pattes d’un oiseau. Le travail de détermination entre experts se base beaucoup sur des photos, mais l’échantillonnage demeure également important. Les prélèvements que conserve le Muséum d’histoire naturelle de Dijon permettent de revenir à tout moment sur la détermination si nécessaire.