L’ennemi présumé des prairies jurassiennes en partie disculpé

Publié par Bourgogne-Franche-Comté Nature, le 27 mars 2024   390

Majoritairement converties en prairies pour la production laitière, les surfaces agricoles du massif jurassien ont corrélativement vu leurs populations de campagnols grimper. Mais les méfaits des petits rongeurs restent à nuancer.

Pourquoi relativiser le caractère nuisible du Campagnol terrestre pour les prairies ?

Son incidence négative est certes réelle lors des pics de pullulation, qui entraînent des pertes financières à court terme. Néanmoins, il serait dommage d’ignorer ses impacts positifs en dehors des pics. L’espèce a sa part dans l’équilibre des écosystèmes prairiaux et sa fonction d’ingénieur du sol est bien documentée. De plus, le remède apporté est parfois pire que le mal. Le fait de sursemer et de fertiliser une prairie ravagée la fragilise davantage et est inutile quand on sait que l’année suivante, la production augmente naturellement. Le retournement mécanisé du sol nuit au stockage du carbone et n’apporte pas de plus-value comparé au travail des campagnols. Quant à l’alternance fauche/pâture, elle est néfaste à la diversité végétale, car elle conduit à une banalisation.

Pourquoi la diversité végétale est-elle si importante ?

Grâce à elle, les troupeaux accèdent à des plantes aux propriétés bénéfiques à leur santé et à la qualité organoleptique du lait. Or cette diversité a largement régressé ces dernières décennies dans le massif jurassien. La majorité des prairies « naturelles » sont dans un mauvais état de conservation du fait de l’intensification des pratiques. Cet appauvrissement favorise les pullulations. Des travaux récents menés en Auvergne et dans le Doubs montrent que les campagnols s’installent préférentiellement dans les prairies riches en pissenlits, l’une des espèces dominantes des prairies appauvries très fertilisées.

Quels sont les autres champs de recherche ?

Une étude a mis en évidence que la diversité végétale est supérieure dans les zones perturbées par les campagnols. Il semble que les tunnels et tumuli freinent le développement d’espèces végétales compétitives, au profit d’autres plantes. Cependant, démêler les causes et conséquences reste complexe : il est possible que la diversité floristique influence aussi les choix des campagnols. Une vision systémique des processus est nécessaire. Une approche par modélisation dynamique* a ainsi révélé que les prairies soumises à des perturbations telles que des pullulations retrouvent rapidement leur équilibre. En revanche, si la perturbation survient de manière concomitante avec une seconde, comme la sécheresse, l’écosystème peut s’altérer durablement.

François GILLET, Professeur émérite d’écologie à l’Université de Franche-Comté, Unité de recherche Chrono-environnement

La mesure la plus efficace pour éviter les pullulations de campagnols et préserver la biodiversité des prairies est de limiter la fertilisation par lisier et engrais minéraux. Les prairies pâturées sont suffisamment fertilisées par les restitutions du bétail et les prairies de fauche ne devraient recevoir qu’une fertilisation modérée. Cela implique une diminution du rendement, mais profite à la qualité des produits tout en rendant l’écosystème plus résistant aux aléas climatiques et aux ravageurs. Le maintien et la plantation de haies et d’arbres isolés dans les prairies constituent également un bon levier pour accueillir les prédateurs des campagnols. Il a été démontré que les « prés-bois », ces pâturages boisés typiques du massif jurassien, sont beaucoup moins soumis au risque de pullulation.

Mini-glossaire

Modélisation dynamique : traduction mathématique théorique de systèmes ou processus réels pour étudier l’effet que peuvent produire les variations de divers facteurs au cours du temps.

Pour en savoir plus

Retrouvez une compilation de “Questions de Nature” rédigés par nos experts dans le hors-série N°19.