Espèces nuisibles : un classement sans fondement scientifique
Publié par Bourgogne-Franche-Comté Nature, le 6 janvier 2025 31
Dans le contexte d’effondrement de la biodiversité, l’étiquette d’espèces nuisibles pas plus que celle d’ESOD ne font sens.
Pourquoi la notion d’« espèce nuisible » est-elle discutable ?
Toutes les espèces ont une existence « justifiée » : elles font partie d’un écosystème et y jouent de ce fait un rôle. Vouloir distinguer des espèces qui seraient nuisibles avec d’autres qui ne le seraient pas relève d’un point de vue purement anthropique. De plus, cataloguer une espèce est inadéquat. Certes, une population ou un individu peuvent parfois poser problème aux humains et leurs priorités, mais pas une espèce tout entière. Reste alors à savoir s’il est approprié d’intervenir ou pas et sous quelles conditions. Le Courlis cendré est par exemple un oiseau en régression qui souffre d’une perte de ses habitats. Pour protéger ses quelques nichées, est-il pour autant justifié de réguler ses prédateurs ? Le Renard doit-il être éliminé au profit du menacé Grand hamster d’Alsace ?
La notion d’« espèce susceptible d’occasionner des dégâts » (ESOD) qui a remplacé les nuisibles depuis 2016 est-elle préférable ?
Encore faudrait-il qualifier ce qu’on entend par « dégâts ». Cela ne veut rien dire en l’état et il est facile de voir les limites de cette expression. Toutes les espèces sont potentiellement susceptibles d’occasionner des dégâts dans certains contextes, mais nous ne les classons pas toutes ESOD. Ainsi des populations d’espèces chassables comme les grands ongulés (cerfs, chevreuils, sangliers, etc.) peuvent poser des problèmes pour la régénération forestière et l’agriculture, sans être classées ESOD. Des individus d’espèces protégées comme les loups ou les grands cormorans peuvent aussi causer des dégâts, et ces espèces ne sont pas non plus ESOD.
Le statut d’ESOD peut-il quand même représenter une amélioration ?
Non, il est inadapté à partir du moment où ne sont jamais mesurés les impacts des espèces ciblées, ni les effets des éventuels prélèvements. Les connaissances actuelles sur les écosystèmes nous montrent combien cela serait pourtant impératif, logiquement et éthiquement. Au lieu de cela, nous demeurons dans l’irrationalité. C’est ainsi que le statut d’ESOD est grandement contestable pour le Renard « en général » : deux poules mangées, ne serait-ce pas le prix à payer au vu de la quantité de campagnols prédatés au bénéfice de nos champs ? Les différents acteurs n’auront pas le même avis. Les conflits d’intérêts sont bien réels, il nous faut les affronter et arrêter de camper sur des positions dogmatiques et idéologiques. La mise en balance des coûts/bénéfices est impérative, tout comme l’adoption d’une logique « ERC », « éviter, réduire, compenser ».
Patrick GIRAUDOUX, Professeur émérite d’écologie à l’Université de Bourgogne Franche-Comté, Unité de recherche Chrono-Environnement
« Susceptible d’occasionner des dégâts » est une périphrase de « nuisible ». Il conviendrait de compléter : « nuisible à quoi ? » et ne plus se contenter de parler d’espèce pour privilégier une approche locale, système par système, ce qui inclut à la fois les individus d’une espèce et leur environnement. L’échelle départementale est trop vaste. Un département comme le Doubs est par exemple bien trop hétérogène pour que le classement concernant une espèce soit pertinent. C’est un territoire plus petit, la région socio-écologique, qui devrait plutôt être retenu. Cela pourrait aboutir non plus aux ESOD, mais aux « PAISOD » : « populations animales (ou individus) susceptibles d’occasionner des dommages », dans telle ou telle unité socio-écologique.