Les rivières du Jura sans filtre face aux pollutions

Publié par Bourgogne-Franche-Comté Nature, le 15 février 2024   470

Malgré l’écrin montagneux qui pourrait laisser croire à leur préservation, les fragiles rivières karstiques jurassiennes ont atteint un état de santé alarmant.

Qu’est-ce qu’une rivière karstique et pourquoi est-elle particulièrement vulnérable ?

C’est une rivière installée sur un terrain karstique, un terme plus ou moins synonyme de calcaire. Le calcaire est une roche perméable : lorsqu’il pleut, l’eau s’y infiltre. Il en découle une circulation d’eau souterraine à travers des couloirs et grottes peu à peu creusés : on parle de « réseau karstique ». Par moments, l’eau rencontre des couches imperméables, formées par exemple d’argiles. Elle ressort alors en surface sous forme de résurgence. En Bourgogne-Franche-Comté, certaines rivières sont karstiques. C’est le cas de celles du massif du Jura. Dans un tel système, le sol et le sous-sol n’ont pas le temps de jouer leur rôle de filtre. L’eau percole à une telle vitesse dans le sous-sol qu’elle est restituée rapidement en contrebas. S’il survient une pollution, les rivières sont donc très exposées.

Pourquoi s’inquiéter pour les rivières jurassiennes ?

Depuis plus de 30 ans, les chercheurs de l’Université de Franche-Comté mettent en évidence leur mauvais état biologique, avec entre autres une chute progressive de la biodiversité des invertébrés*. L’alerte lancée en direction des pouvoirs publics a été entendue dans les années 2010, quand chacun a pu constater une mortalité massive de poissons, notamment dans la Loue. Un programme de recherche a débuté en 2012 afin d’établir un diagnostic précis et d’identifier l’influence des activités humaines. Des conclusions ont été rendues 8 ans plus tard, mais les études se poursuivent. Nous savons par exemple que les substances toxiques peuvent être mortelles au-delà d’un certain seuil, or il est sûr que leur présence modérée récurrente est aussi néfaste sans que nous ayons déterminé à quel point. De même, nous avons peu de recul sur les effets cocktail, c’est-à-dire la nocivité de différentes substances combinées.

Quelles sont les causes de l’altération des rivières ?

L’intensification des pratiques agricoles (augmentation des surfaces cultivées, des labours, des épandages de lisier et fumier) provoque dans les rivières un excès de nutriments, notamment de nitrates. Cela déclenche une eutrophisation*, qui entraîne elle-même une hypoxie* mortelle pour la faune aquatique. La pollution est aussi chimique. Les pesticides, les résidus médicamenteux, ainsi que les produits de traitements du bois et les biocides utilisés par de nombreuses activités humaines adhèrent aux matières en suspension (bien visibles lorsque les eaux sont boueuses), parfois à de fortes concentrations. Le recours aux combustibles fossiles et végétaux libère quant à lui des HAP*.

Pierre-Marie BADOT, Professeur de biologie environnementale à l’Université de Franche-Comté, Unité mixte de recherche Chrono-Environnement

Sur certains secteurs de la Loue, les populations de poissons sont 80 % moindres que par le passé, et ce constat s’applique à d’autres rivières. Il en est de même pour les macroinvertébrés*. La situation n’est pas irréversible. Cependant, si de gros efforts ne sont pas faits rapidement, il sera difficile de restaurer le bon fonctionnement des rivières. Nous sommes tous responsables, en tant qu’agriculteurs et industriels, mais aussi en tant que particuliers et consommateurs. Il est possible d’adopter des pratiques plus vertueuses : prise en compte de la vulnérabilité des sols et des périodes adéquates pour l’épandage, diminution de l’usage de biocides et produits vétérinaires… Des progrès peuvent aussi être réalisés dans le traitement des eaux usées domestiques.

« Pour en savoir plus… »

La synthèse grand public de l’étude sur l’état de santé des rivières karstiques du Jura est à télécharger sur : https://www.shnd.fr/wp-content/uploads/2020/07/BILAN-2012-2020.pdf. La thématique des rivières est aussi à retrouver dans le nouveau numéro 37/38 de la revue Bourgogne-Franche-Comté Nature.

Mini-glossaire

Eutrophisation : prolifération excessive d’algues liée à une trop grande disponibilité en nutriments. Les algues sont décomposées par des microorganismes qui se développent aussi en surnombre, amenant à une disparition de l’oxygène dans l’eau.

HAP : hydrocarbures aromatiques polycycliques, polluants issus de combustions.

Hypoxie : manque d’oxygène dissous dans l’eau.

Invertébrés : animaux dépourvus de squelette interne. Parmi eux, les macroinvertébrés sont ceux visibles à l’œil nu : escargots, gammares, insectes…

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