Le Morvan modelé par le flottage du bois

Publié par Bourgogne-Franche-Comté Nature, le 15 juillet 2024

Pour l’observateur aguerri, l’activité qui consistait à convoyer le bois directement par l’eau jusqu’à la capitale se lit encore dans le massif.

Quelle a été la place du flottage dans le Morvan ?

L’importante activité de flottage sur le haut bassin de l’Yonne remonte à la seconde moitié du 16e siècle, au moment où la demande en combustible s’est intensifiée à Paris. Auparavant, il existait un flottage plus modeste. Dans les rivières du Morvan, le flottage a progressivement pris le pas sur toute autre activité. Pour des raisons logistiques, les bûches respectaient une taille d’environ 1,15 mètre de long. Ceci permettait d’utiliser presque tous les cours d’eau et ruisseaux depuis l’amont du bassin. Marquées par leur propriétaire, elles se mélangeaient dans l’eau avant d’être triées en aval. La fin du flottage intensif a commencé au 19e siècle avec le chemin de fer, les canaux de navigation, et la concurrence du charbon, pour se terminer en 1923. Malgré le temps écoulé, l’environnement demeure marqué par cette activité.

Quelle empreinte le flottage a-t-il laissée ?

En amont, on observe un déstockage des sédiments et une très forte érosion des berges. Les lits se sont enfoncés : on parle d’« incision » des rivières. Cela s’explique par le fait que les bûches percutaient les berges, mais surtout par des lâchers d’eau réguliers qui visaient à générer des crues artificielles à l’aide de retenues construites à cet effet. En fond de vallée, on note au contraire une accumulation sédimentaire, composée de sédiments fins comme de cailloutis. De plus, les rivières étaient fréquemment déplacées pour mieux servir l’activité. De nombreux lits ont été décalés contre un versant ou endigués pour obtenir un tracé plus rectiligne. Il en résulte une position originale : ces lits sont actuellement au-dessus du fond de vallée, ce qui a des conséquences écologiques telles qu’une humidité accrue des sols.

Comment avez-vous procédé pour enquêter ?

Nous avons eu recours au LiDAR* pour mieux visualiser la topographie du haut Morvan. Cette technologie permet de repérer les plus discrètes variations altitudinales, même sous la végétation, ce qui a révélé de nombreux indices d’anciens aménagements. Nous avons pratiqué une fouille en tranchée avec une pelle mécanique pour étudier ce qui nous semblait être un ancien lit aménagé pour le flottage. Cela a confirmé l’hypothèse et a donné des informations sur le fonctionnement passé du cours d’eau, qui charriait notamment de nombreuses écorces triturées pendant le transport des bûches.

Nicolas JACOB-ROUSSEAU, Géographe maître de conférences à l’Université Lumière Lyon 2

Frédéric GOB, Géographe maître de conférences à l’Université Panthéon Sorbonne Paris 1

Malgré l’image « naturelle » qu’on peut se faire du Morvan, il apparaît que ce massif a été façonné par le flottage. On peut considérer que l’activité y a été pratiquée à une échelle industrielle. De multiples questions restent à explorer, qui ouvrent autant de perspectives de recherches. Des documents historiques témoignent que les lits étaient endigués avec des blocs de pierre et entretenus. Mais quels aménagements annexes accompagnaient les cours d’eau ? Quelle est la quantité de sédiments qui a été déplacée de l’amont vers l’aval ? De quelle façon ces environnements extrêmement perturbés se sont-ils adaptés pour produire aujourd’hui des cours d’eau de bonne qualité écologique ? Découverte inattendue, nous avons retrouvé beaucoup de bûches de flottage perdues, conservées intactes dans les alluvions. Une prospection systématique pourrait éclairer sur la croissance des arbres, sur le mode de gestion des forêts et sur le degré de naturalité de celles-ci.

Mini-glossaire

LiDAR : acronyme de Light Detection And Ranging, technique laser de mesure à distance ultra-précise.