Le Lynx boréal, sa génétique à la loupe
Publié par Bourgogne-Franche-Comté Nature, le 11 avril 2023 1.3k
Dressé grâce à l’engagement conjoint de citoyens, d’une association et de scientifiques, l’état des lieux sur le félin forestier s’avère préoccupant.
Quelle est l’histoire du Lynx en France ?
Le Lynx était autrefois présent dans toute l’Europe, mais il a connu une régression du fait de la raréfaction des habitats forestiers et de leurs proies et des persécutions dont il a été victime pour sa fourrure. Entre le 17e et le 19e siècle, il a ainsi progressivement disparu de certains territoires dont la France. À partir des années 1970, des spécialistes de la conservation animale ont mené des campagnes de réintroduction, peu coordonnées et pas toujours stratégiques. Des individus de la population des Carpates ont été relâchés en Suisse, puis dans les Vosges. On suppose que la population française actuelle provient de ces réintroductions. Le territoire du Lynx s’est depuis étendu au Jura, au Doubs, à l’Ain et aux Alpes. Il est compliqué de dénombrer l’espèce qui occupe de grands territoires et s’observe difficilement. Il existerait aujourd’hui seulement 200 individus dont la répartition est morcelée.
Quel avenir espérer pour le Lynx ici ?
Lors des captures dans les Carpates, la technologie pour mesurer la diversité génétique était encore inexistante. On a parfois réintroduit peu d’individus, qui étaient apparentés. Par la suite, il a pu être constaté une faible diversité génétique et une forte consanguinité dans les populations réintroduites en Europe de l’Ouest. Cela représente l’une des plus importantes menaces pour leur maintien. La consanguinité est par exemple l’hypothèse principale pour expliquer la fréquence des malformations cardiaques chez le Lynx. Par ailleurs, la coexistence avec les humains provoque parfois des conflits se matérialisant par des destructions illégales. Les collisions routières constituent une autre problématique majeure.
Quelles recherches menez-vous sur l’espèce ?
Nous étudions sa diversité génétique en France et son régime alimentaire, notamment pour savoir dans quelle mesure elle s’attaque à des proies domestiques. Nos premiers résultats tendent à démontrer que ce phénomène est extrêmement rare. Le Lynx se nourrit principalement d’ongulés sauvages, majoritairement de chamois et de chevreuils. Quant aux marqueurs génétiques, ils nous laissent assez pessimistes car ceux qui ont été analysés pour le moment (ADN mitochondrial) ne laissent apparaître aucune diversité. Cela interroge sur la viabilité de la population à long terme. La solution résiderait dans la reconnexion avec d’autres populations pour permettre un brassage et la réintroduction de nouveaux individus, mais une telle décision demande à être réfléchie par les institutions et les associations.
Le mot de l’experte
Eve AFONSO, Écologue Maître de conférences à l’Université de Franche-Comté, Unité de recherche Chrono-Environnement
Le suivi du Lynx ne pourrait se faire sans un réseau de volontaires coordonné par la SFEPM*. Depuis 2019, une centaine de bénévoles collectent des crottes. Celles-ci sont ensuite analysées en laboratoire. Un système de tri permet de s’assurer que la crotte est bien celle d’un lynx. À travers un génotypage individuel, on identifie ensuite l’empreinte génétique de chaque individu. Et avec le metabarcoding*, on détecte l’ADN de toutes les espèces ingérées. La mise en place du protocole a pris du temps, car les crottes renferment des ADN dégradés par le passage dans le tube digestif et par les jours écoulés avant ramassage. Il a donc fallu s’intéresser à des fragments d’ADN courts, dégradés, ce qui complexifie la tâche de discrimination des ADN des proies.
Pour en savoir plus
Le présent article prolonge une conférence qui s’est tenue en 2022 dans le cadre de la semaine « Écologie environnement biodiversité » proposée nationalement par le CNRS. Découvrez plus de détails sur le projet LYNX en visitant la page dédiée sur le site Internet de la Zone Atelier Arc Jurassien : https://zaaj.univ-fcomte.fr/spip.php?article120.
Mini-glossaire
Metabarcoding : technologie permettant de déterminer simultanément un grand nombre d’espèces à partir de fragments d’ADN prélevés dans l’environnement en comparant leur « code-barres » à une base de référence.
SFEPM : Société française pour l’étude et la protection des mammifères.
Crédit illustration © Daniel ALEXANDRE