Le karst franc-comtois, un château d’eau sans retenue

Publié par Bourgogne-Franche-Comté Nature, le 19 juin 2024   97

La ressource aquatique du massif jurassien repose sur un complexe de cavités calcaires ayant de multiples incidences sur la délivrance de l’eau.

Qu’est-ce que le karst ?

C’est une formation, le plus souvent calcaire, caractérisée par la prépondérance de fractures, excavations et autres altérations de la roche corrodée par l’eau. Le moteur de la formation karstique est plus précisément une eau acide chargée en gaz carbonique. Ce CO2 est produit par l’activité biologique et microbiologique du sol, sol dans lequel la concentration peut atteindre 3 %, contre 0,4 % dans l’atmosphère. Gouffres, grottes, dolines, lapiez, résurgences… toutes ces curiosités, nombreuses en Franche-Comté, sont des manifestations de la nature karstique du sous-sol. La Bourgogne possède aussi des régions karstiques, par exemple à l’est de la Côte-d’Or et sur l’arrière Côte.

Pourquoi le karst intéresse-t-il les hydrogéologues ?

Les vides dus à la dissolution du calcaire sont un remarquable lieu de stockage d’eau souterrain. Les sources qui en résultent ont généralement un fort débit, comme la Loue qui écoule 10 m3 par seconde en moyenne. Si la Saône reçoit l’eau de grands affluents, dans le karst, cela se passe de façon souterraine. Le karst est un milieu évolutif où la perméabilité progresse. Aujourd’hui, les pertes du Doubs alimentent partiellement la Loue. À terme, elles devraient se déverser en totalité dans la Loue. En tant qu’humains, nous pourrions souhaiter intervenir pour contrer ce phénomène, notamment afin de préserver le Saut du Doubs, mais cela soulève des questions d’ordre philosophique.

Qu’est-ce qui rend l’eau d’un système karstique vulnérable ?

Il existe une différence essentielle entre l’eau souterraine d’une nappe alluviale et celle du karst. Dans le premier cas, l’eau prendra environ un an à parcourir une distance d’1 kilomètre, tandis que dans le second, où elle emprunte de larges conduits karstiques, il ne lui faudra que 15 heures. On comprend combien ces ordres de grandeur induisent des réponses différentes face à une pollution. Le renversement d’un camion d’hydrocarbures pourra éventuellement faire l’objet d’un point de récupération pour l’un, mais se répercutera quasi immédiatement dans le milieu pour l’autre sans intervention possible. Au-delà de ces pollutions accidentelles, la ressource en eau d’un massif karstique est en partie directement soumise sans filtration à l’émission continue de glyphosates, à des épandages vecteurs de nitrates, etc., mesurables à la sortie après des épisodes pluvieux.

Jacques MUDRY, Hydrogéologue honoraire de l’Université de Franche-Comté

À la fin du 19e siècle, certains secteurs de Besançon ont connu d’importantes épidémies de fièvre typhoïde qui ont débuté à peine quelques jours plus tôt sur le plateau de Nancray. Le docteur Baudin, hygiéniste bisontin, s’est aperçu que les secteurs touchés étaient alimentés par la source d’Arcier, alors que d’autres quartiers n’étaient pas affectés. Il a mis en évidence que le bacille avait été transmis via l’eau contaminée par les habitants du plateau, et a par conséquent découvert le caractère rapide de la diffusion de cette eau à travers les massifs. Un inventaire mondial des sources karstiques actuellement en préparation, auquel je participe, inclura trois sources karstiques jurassiennes, dont celle d’Arcier, riche d’histoire puisqu’elle est captée depuis le 2e siècle et alimente toujours la ville en eau potable. Grand Besançon Métropole vient d’ailleurs d’inaugurer une nouvelle unité à la Malate pour traiter l’eau d’Arcier.