Cycle du carbone, les lacs du Jura à l’étude

Publié par Bourgogne-Franche-Comté Nature, le 3 juillet 2023   880

Les lacs du massif jurassien avec leurs petites bêtes aquatiques sont le terrain de recherches scientifiques qui visent à mieux comprendre leur influence sur les émissions de carbone.

Pourquoi la vie aquatique des lacs peut-elle apporter des réponses sur le cycle du carbone ?

Nous savons que les lacs stockent énormément de carbone, ce qui en fait de précieux atouts pour atténuer le changement climatique. Mais nous constatons que l’équilibre des lacs est actuellement perturbé : ils s’eutrophisent* anormalement vite. Ce phénomène fait l’objet d’une controverse scientifique quant à savoir s’il augmente la capacité des lacs à fixer le carbone, ou au contraire s’il l’amoindrit. Beaucoup de mécanismes entrent en jeu, ce qui explique la difficulté à trancher et la nécessité de poursuivre les recherches, ce à quoi participe notre équipe. L’an dernier, une thèse a ainsi permis d’éclaircir l’origine du carbone consommé par les organismes aquatiques benthiques* et pélagiques* des lacs du massif jurassien. La nourriture de ces organismes peut être des particules terrestres, du phytoplancton*, ou des bactéries consommatrices de méthane.

Comment avez-vous procédé ?

Nous avons réalisé des carottages dans les sédiments de plusieurs lacs du massif. Nous avons d’abord daté chaque couche en analysant le plomb, le césium et le carbone 14. Puis nous avons étudié la matière organique de chaque « tranche » de carotte et nous nous sommes intéressés aux restes d’organismes qui s’y trouvaient, notamment aux chironomidés* et aux daphnies. Les chironomidés sont une famille d’insectes du même ordre que les mouches qui pond ses larves dans les lacs et représente un bon indicateur de l’état d’un milieu. Certaines communautés supportent par exemple une eau plus chaude que d’autres. Les daphnies sont des organismes pélagiques ubiquistes qui dominent les communautés zooplanctoniques*. Nous avons examiné les signatures isotopiques du carbone contenus dans les restes de ces deux sortes de consommateurs pour en déduire ce qu’ils avaient consommé. Les atomes de carbone existant en différents types (on parle d’« isotopes ») dont l’empreinte est distincte, il est possible d’extrapoler d’où ils proviennent.

Quelles conclusions ont été tirées ?

Sur une année, il apparaît qu’en été, la couche d’eau profonde des lacs connaît une intense activité de dégradation du carbone par des bactéries qui se nourrissent de carbone organique* et utilisent l’oxygène. Cela finit par créer un manque d’oxygène favorable à d’autres micro-organismes, les archées, dont certaines produisent du méthane. Ce méthane demeure dans la couche d’eau profonde jusqu’au brassage automnal. Méthane et oxygène sont alors mélangés et deviennent disponibles pour des bactéries qui, elles, consomment du méthane. Une partie du méthane se diffuse cependant dans l’atmosphère, sans que nous l’ayons pour l’instant quantifié.


Le mot de l'experte

Hélène MASCLAUX, Maître de conférences à l’Université de Bourgogne Franche-Comté, Unité de recherche Chrono-Environnement

Dans la plupart des lacs, des périodes de stratification des couches d’eau (en été où l’eau est plus chaude en surface et en hiver où l’eau gèle à l’inverse en surface) alternent avec des périodes de brassage (au printemps et à l’automne). Pour qualifier ce mélange biannuel, on parle de fonctionnement « dimictique ». Ceci explique la saisonnalité qui marque nos résultats. Lorsqu’on considère une échelle de temps plus large, on s’aperçoit d’un changement rapide et net depuis les années 1950 suggérant que les activités humaines en sont la cause, en particulier l’agriculture et l’élevage. Les lacs majoritairement entourés de terres agricoles ont une accumulation de matières organiques et une concentration en méthane de leur eau bien supérieures.


Pour en savoir plus

Le présent article prolonge une conférence qui s’est tenue en 2022 dans le cadre de la semaine « Écologie environnement biodiversité » proposée nationalement par le CNRS. Rendez-vous sur la page https://chrono-environnement.univ-fcomte.fr/recherche/themes-actions-et-projets/theme-dynabio pour une présentation de l’action dans laquelle s’inscrit ce sujet de recherche lié au cycle du carbone au laboratoire Chrono-Environnement.


Mini-glossaire

Benthique : vivant au fond de l’eau.

Eutrophisation : accumulation de matières organiques*.

Organique : se dit d’une substance carbonée d’origine animale ou végétale.

Pélagique : vivant en pleine eau.

Phytoplancton : algues microscopiques aquatiques.

Zooplancton : animaux microscopiques aquatiques.


Crédit illustration : Daniel ALEXANDRE