Vers une société sans nature
Publié par Bourgogne-Franche-Comté Nature, le 10 mai 2021 630
Pour sortir de la crise écologique, il nous faut abandonner le concept de nature.
Pourquoi la « nature » n’a plus de sens ?
La nature entendue comme espace d’où l’Homme serait absent n’existe plus. Tous les milieux sont impactés par l’humain, même là où il n’est pas présent. La banquise arctique est par exemple sujette à une fonte dont nous sommes responsables et nos diverses pollutions arrivent jusqu’à elle, provoquant des désordres dans ses écosystèmes. Nos « parcs naturels » sont le résultat de l’action humaine : beaucoup sont constitués de surfaces agricoles, les parcs alpins sont directement façonnés par le pastoralisme… La question de la séparation entre nature et humanité est artificielle et dans nos civilisations occidentales, elle remonte au fond des âges. La dualité supposée entre nature d’un côté et Homme de l’autre nous fait oublier que toutes nos ressources proviennent des écosystèmes dont nous faisons partie et que nous ne pouvons vivre en dehors d’eux. Cette vision duale nous a conduits à la crise écologique majeure que nous traversons.
Comment penser autrement la nature ?
Nous avons tendance à vouloir « gérer » la nature pour restituer une certaine naturalité. Se pose le problème du référentiel que l’on voudrait atteindre. Les écosystèmes ne sont pas stables, mais traversés par une évolution constante. Ils ne peuvent redevenir identiques à ce qu’ils étaient. Il est donc nécessaire de se concentrer sur des indicateurs de gestion fiables, comme la biodiversité. Nous savons qu’un écosystème avec une grande biodiversité est beaucoup plus résilient, c’est-à-dire résistant aux aléas. Si une espèce disparaît d’un écosystème riche en biodiversité, plusieurs autres prendront le relais et assureront les fonctions de l’espèce disparue. Ce n’est pas le cas dans un écosystème pauvre en biodiversité, où la disparition d’une espèce entraîne un effondrement du système.
À quoi peut ressembler une société sans nature ?
Dans nos représentations actuelles, notre société est régie par notre économie, le vivant et les écosystèmes étant intégrés seulement en bas de l’échelle du système, sous contrainte du reste. Grâce au rapport Brundtland, dans les années 1980, est apparue une nouvelle représentation où les 3 sphères de l’économie, de la société et de l’environnement s’entrecroisaient pour donner le développement durable. Pour autant, chaque sphère apparaissait encore indépendante l’une de l’autre, le développement durable n’impliquant qu’un degré modéré de recouvrement. L’organisation souhaitée face aux enjeux actuels prend aujourd’hui la forme d’une sphère, celle de la biodiversité, qui englobe entièrement nos sociétés, englobant elles-mêmes l’économie. Seule cette nouvelle hiérarchie qui prend en compte les limites physiques et biologiques planétaires nous offrira la possibilité d’un futur.
Le mot de l'expert
Patrick GIRAUDOUX, Professeur émérite d’écologie à l’Université de Bourgogne Franche-Comté, Unité mixte de recherche Chrono-Environnement
Sans nature, a-t-on encore besoin de naturalistes ?
Peut-être faudrait-il inventer un néologisme, comme « biodiversitéologue », pour s’affranchir du terme « nature » ! Plus sérieusement, le terme d’écologue existe. À travers la démarche scientifique, les naturalistes ont plus que jamais un rôle important à jouer pour mieux connaître la biodiversité, la quantifier, la suivre. À l’époque où fake news et théories du complot se multiplient, il est essentiel de recentrer les débats sur des faits. En cette période, on raisonne sur l’urgence du rattrapage du PIB, sans considérer conjointement la nécessiter de diminuer notre empreinte écologique actuellement non-soutenable. Avec la préservation vitale de la biodiversité et notre survie en ligne de mire, il nous faut de toute urgence changer de modèle.
Pour en savoir plus...
Découvrez l’article de Patrick GIRAUDOUX paru dans le n° 30 de la revue Bourgogne-Franche-Comté Nature, « La nature est morte ! Mais on a plus que jamais besoin des naturalistes ».
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