Une enquête scientifique de terrain pour Planoise
Publié par Journal en direct, le 14 juin 2022 700
Dans le cadre de la mise en place d’une police de sécurité du quotidien à Planoise à Besançon, une recherche en socio-anthropologie menée sur le terrain a réuni les acteurs concernés au quotidien par les situations de violence et le climat d’insécurité régnant dans le quartier. Une réflexion collective mise au service de l’action publique, pour faire émerger des stratégies d’action et des solutions de prévention.
Comme d’autres zones prioritaires en France, le quartier de Planoise à Besançon bénéficie depuis 2019 d’une police de sécurité du quotidien. Selon une vision élargie par rapport au concept de police de proximité, ce dispositif s’appuie sur un partenariat entre les agents de sécurité et les différents acteurs impliqués dans la vie du quartier. Sa mise en place s’est assortie d’une enquête de terrain, à la demande de la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP) et de la Préfecture du Doubs.
Une « recherche-action » menée sur près de deux années par Lucie Jouvet Legrand, enseignante-chercheuse en socio-anthropologie à l’université de Franche-Comté, aidée dans sa tâche par deux stagiaires de master. « Malgré le climat d’insécurité et les difficultés qu’ils rencontrent au quotidien, les habitants de Planoise sont très attachés à leur quartier et souhaitent que les choses s’améliorent », remarque d’emblée Lucie Jouvet Legrand.
Planoise, une ville dans la ville, à l’image d’autres quartiers de France créés pendant les Trente glorieuses, comptait 15 288 habitants en juin 2020, selon les données de l’INSEE. Réputé « calme et agréable à vivre » dans les années 1970 et 1980, ainsi que le décrivent des habitants installés là de longue date, le quartier s’est dégradé tant du point de vue des bâtiments et installations que du climat social. Trafics de stupéfiants, squats d’immeubles, incivilités, banalisation des armes, détérioration de vitrines, de voitures… la liste est longue des actes de violence et de nuisance répertoriés à Planoise.
Des faits alimentant toujours un peu plus la stigmatisation, au point que l’image du quartier se réduise souvent à ce seul aspect. Le travail de recherche mené par Lucie Jouvet Legrand veut déterminer les leviers d’action qui permettraient de faire face à ces situations difficiles, et mieux encore, de réussir à les prévenir, en prenant appui sur les ressources du terrain, à l’image du fonctionnement voulu pour la police de sécurité du quotidien.
Des scénarios fictifs, mais réalistes
Habitants du quartier, travailleurs sociaux, commerçants, bailleurs, enseignants et policiers se sont ainsi réunis de façon inédite pour témoigner de leur expérience et apporter leur point de vue. Des tables rondes ont été organisées autour de scénarios fictifs, mais réalistes, élaborés à partir de problématiques de terrain identifiées lors d’une première phase d’enquête.
« Les intervenants avaient ainsi la possibilité non seulement de donner leur propre vision d’une situation donnée, mais aussi d’en mesurer les enjeux pour les autres protagonistes. » Au cœur des débats : une coiffeuse victime de représailles, notamment de la destruction répétée de la vitrine de son commerce, pour avoir signalé un trafic de stupéfiants à la police ; un employé de la compagnie de gaz empêché, pour assurer son service, de traverser un hall d’immeuble occupé par des squatteurs ; des enfants terrorisés par des pétards jetés dans la cour de leur école au moment de la récréation.
De la confrontation des idées émergent des stratégies et des recommandations qui s’appliquent aux cas proposés et au-delà. Pas forcément satisfaisant mais efficace, l’évitement est souvent préconisé, depuis l’astuce d’entrer dans un immeuble par le garage pour ne pas avoir à traverser le hall, à la solution extrême du déménagement. À l’opposé, le dialogue est aussi mis en avant, pariant sur la capacité des habitants à communiquer avec les jeunes délinquants ; dans le deuxième scénario par exemple, c’est faire entendre raison aux squatteurs sur l’intérêt, pour tous, que l’employé du gaz puisse faire son travail.
Dans le même esprit de conciliation, les enseignants relèvent la bonne volonté et la bonne conduite des enfants à l’école, souhaitant que des structures puissent prendre leur relais et viennent en aide aux parents, souvent des mères seules, pour éviter que les plus jeunes suivent leurs aînés sur le chemin de la délinquance. « Les logiques se révèlent différentes selon les acteurs. Sur la question par exemple des trafics de stupéfiants et des squats d’immeubles, qui figurent au premier rang des préoccupations, les personnes concernées au quotidien souhaiteraient une réponse policière immédiate à l’encontre des dealers, quand les policiers veulent se servir d’eux pour remonter un trafic jusqu’à sa tête. »
Les dissensions apparaissent, les points d’accord aussi, comme l’intérêt d’une présence accrue de policiers en uniforme pour décourager l’installation des trafics, la nécessité d’allonger les plages horaires des permanences assurées par les organismes sociaux, notamment pour la protection de l’enfance, ou encore la pertinence d’installer dans un même lieu commissariat de police et services sociaux, afin de rendre plus discrètes, et par là même d’encourager les démarches auprès de la police. Les raisons qui expliquent l’augmentation de la violence et l’implication de fauteurs de troubles de plus en plus jeunes font aussi consensus : pointé en premier lieu, le manque de mixité sociale, qui s’est accru au fil du temps.
Riche de questionnements et d’enseignements, l’enquête révèle aussi une grande implication des participants, très motivés par des perspectives d’amélioration de la vie dans leur quartier. Cependant les premiers concernés, les délinquants, n’ont pas pu être intégrés à cette enquête. Lucie Jouvet Legrand espère qu’une recherche future donnera l’occasion de les entendre pour « boucler la boucle », et ainsi mieux identifier les leviers d’action possibles.
Article paru dans en direct, n°300, mai-juin 2022
Contact :
Laboratoire de sociologie et d’anthropologie - LASA
Université de Franche-Comté
Lucie Jouvet Legrand