Nitrates et nitrites : lien confirmé avec le risque de cancer colorectal
Publié par Journal en direct, le 13 décembre 2022 1.1k
En beaucoup de choses, c’est l’excès qui est néfaste : les nitrates et les nitrites n’échappent pas à la règle. Les nitrates sont des constituants naturels des végétaux, dont ils sont essentiels à la croissance. Mais leur présence est accrue dans l’eau et les sols en raison des activités agricoles et des rejets de certaines industries, à des concentrations qui parfois peuvent les rendre toxiques jusque dans nos assiettes.
Les nitrites, issus de l’oxydation naturelle de l’azote, sont, eux, faiblement présents dans l’environnement. En dehors de ce contexte, les uns comme les autres sont employés par l’industrie agroalimentaire pour empêcher la prolifération de bactéries pathogènes dans l’alimentation, des bactéries à l’origine de maladies telles que la listériose, la salmonellose ou le botulisme. Ces conservateurs sont identifiés sous les numéros E 249 à 252.
Qu’ils soient naturels ou chimiques, les nitrates et les nitrites donnent naissance, lorsqu’ils sont ingérés, à des composés nitrosés dont certains sont connus pour leur caractère cancérogène et génotoxique. Un rapport de l’Anses1, publié en juillet 2022, démontre le lien entre la présence de ces composés dans l’organisme et le risque de développer un cancer colorectal.
Professeur d’écotoxicologie à l’université de Franche-Comté / laboratoire Chrono-environnement, Pierre-Marie Badot a coprésidé le groupe d’experts responsable de cette étude, composé de treize spécialistes de différentes disciplines. « L’analyse a porté sur l’ensemble de la production scientifique internationale publiée sur ce sujet, notamment les études récentes en toxicologie, cancérologie et épidémiologie relatives aux nitrates, aux nitrites et à leurs composés néoformés. La littérature montre que c’est une exposition élevée à ces substances qui constitue un facteur de risque. » Les experts estiment qu’environ 1 % de la population française est concernée par un dépassement des doses journalières admissibles en nitrates et en nitrites. Ils ont évalué la part que représente chaque source d’exposition et sont en mesure d’émettre des préconisations.
Les nitrates sont apportés pour 25 % par les eaux de boisson et pour 75 % par l’alimentation, notamment par les salades, épinards et autres légumes feuilles, qui représentent à eux seuls plus de 60 % de l’exposition globale aux nitrates. Les nitrites proviennent très peu des eaux de boisson, à peine 1 %, mais à 99 % de l’alimentation, notamment des charcuteries. C’est à cette dernière catégorie d’aliments que les experts recommandent de faire le plus attention, en limitant leur consommation à 150 g par semaine. « Les légumes feuilles constituent une préoccupation moins importante car leur environnement biochimique, leurs vitamines surtout, limite la transformation de leurs nitrates en composés nitrosés », précise Pierre-Marie Badot. La diversification de l’alimentation et des sources d’approvisionnement est une recommandation d’ordre général qui prend également ici tout son sens.
Le rapport montre aussi à la filière agroalimentaire qu’un équilibre est possible pour réussir à répondre au double enjeu de santé publique qui se pose à elle : limiter les nitrites dans les aliments carnés transformés, tout en continuant à garantir leur qualité. Pierre-Marie Badot souligne à ce propos que la conservation des charcuteries par des extraits végétaux ou des bouillons de légumes ne constitue pas une option satisfaisante : « Comme l’indiquent les emballages, elles sont sans nitrites ajoutés. Mais les nitrates contenus naturellement dans les végétaux employés se transforment en nitrites sous l’action des enzymes bactériennes présentes dans ces formules ». Retour à la case départ donc, et à la recherche de solutions.
Œuvrer pour la société
Photo Daniel Dan – Pixabay
Expert à l’Anses depuis près de vingt ans, Pierre-Marie Badot considère cet engagement comme un prolongement naturel de son activité d’enseignant-chercheur, le versant sociétal de son travail scientifique. « Participer à des groupes de travail sur des questionnements actuels, c’est rendre nos recherches utiles à tous, c’est mettre à profit nos compétences et partager nos connaissances dans une démarche de science ouverte. » Les expertises de l’Anses peuvent être motivées par une décision en interne ou être commanditées par un ministère, comme c’est le cas de l’étude sur les nitrates et les nitrites, engagée à la demande des ministères de l’agriculture et de la santé : l’agence recrute alors des experts indépendants pour constituer des groupes de travail spécialisés.
Parmi les autres dossiers suivis par Pierre-Marie Badot, les plus récents concernent l’impact sur les sols de la pollution générée par l’accident de l’usine Lubrizol de Rouen en 2019, le problème du cadmium présent dans les engrais phosphatés dont on sait qu’il peut générer des troubles neurologiques et osseux, ou encore l’adaptation au droit français de la directive européenne préconisant le recours à des eaux usées, traitées, pour l’arrosage des cultures, qui devrait faire l’objet d’un décret d’application en 2023. « Il est difficile de changer les choses rapidement ou radicalement, comme cela est souvent souhaité. Mais toutes ces expertises participent à la construction et au partage de corpus de connaissances ; c’est un travail de fond qui permet peu à peu aux pratiques et aux mentalités d’évoluer. »