L’environnement de la ferme, un capital contre les allergies
Publié par Journal en direct, le 23 août 2024 480
Étude d’envergure inédite en termes à la fois de durée et de territoire, l’enquête européenne PASTURE démontre le rôle protecteur de la diversité microbienne présente à la ferme sur la survenue des allergies, confirmant et complétant des recherches menées de façon plus ponctuelle sur cette problématique. PASTURE apporte des réponses de premier plan dans un contexte de forte progression des allergies et de l’asthme depuis le milieu du XXe siècle en Europe. Éprouvantes au quotidien, voire handicapantes, et dans les cas extrêmes malheureusement parfois fatales, ces pathologies sont devenues un problème de santé publique.
En Allemagne, Autriche, Suisse, Finlande et France, en Franche-Comté précisément, mille enfants de régions rurales ont été inclus dans la cohorte PASTURE en 2002, et ont fait l’objet d’un suivi pendant quinze ans ; devenus de jeunes adultes, certains ont donné leur assentiment pour poursuivre l’expérimentation au-delà de leurs 18 ans, permettant ainsi des développements complémentaires à l’étude.
Dès le troisième trimestre de grossesse des mamans jusqu’au 16e anniversaire des enfants, le protocole PASTURE a été mis en place de façon très rigoureuse et exhaustive. Pour établir les comparaisons nécessaires, la cohorte a été scindée en deux populations d’enfants vivant soit dans une ferme d’élevage, soit en milieu rural, mais hors de l’enceinte d’une ferme. Le protocole incluait des examens biologiques réguliers, comme des analyses sanguines, certaines portant même sur des prélèvements de sang de cordon ombilical, une première pour ce type d’étude. Il assurait le suivi des enfants, croissance, maladies infantiles, habitudes alimentaires, activités quotidiennes. Enfin, il prenait en compte les caractéristiques de la ferme, évolution du cheptel, relevés physico-chimiques et microbiologiques de l’air ambiant ou dans l’habitation…
La biodiversité, dès le plus jeune âge
Les résultats montrent de façon nette que les enfants nés et vivant à la ferme développent moins d’allergies que les autres enfants grandissant à la campagne ; ce constat s’observe dès la première année de vie, et se confirme au cours des années suivantes.
En révélant l’effet bénéfique des microbes présents à la ferme, ils permettent aussi d’affirmer que c’est l’absence de contact avec cette biodiversité microbienne qui est responsable d’une incidence plus élevée de personnes souffrant d’allergies respiratoires dans la population urbaine, la pollution atmosphérique étant pour sa part responsable d’une aggravation des symptômes.
« Le contact avec les animaux et la consommation des produits de la ferme à base de lait cru sont des facteurs de protection avérés. C’est la diversité, et non la quantité de microbes auxquels les enfants sont exposés qui fait la différence », souligne Dominique Angèle Vuitton, professeure émérite d’immunologie clinique à l’université de Franche-Comté, qui en 2002 a mis en place l’étude française aux côtés du Pr Jean-Charles Dalphin et du Dr Jean-Jacques Laplante1.
Diversité, c’est le mot clé de cette grande étude. Dans le domaine de l’alimentation, si le lait cru et les produits qui en sont issus produisent les effets les plus protecteurs, introduire de façon précoce dans l’alimentation des enfants les fromages de manière générale et les yaourts, issus de la fermentation du lait, apporte aussi des bénéfices.
Il n’y a pas de fatalité génétique
La vie à la ferme signifie aussi être au contact des animaux. Vaches, chèvres, chevaux, poules, chiens…, plus le cheptel est varié et plus l’exposition aux différents microbes qu’ils véhiculent a un effet protecteur. Ce constat se renforce lorsque la mère a également été au contact de ces animaux au cours de sa grossesse, et plus encore si elle est elle-même née dans une ferme et y a vécu.
C’est là l’un des enseignements les plus forts de l’étude PASTURE ; il tient de l’épigénétique, cette science récente qui étudie la façon dont l’expression des gènes peut changer sous l’influence de différents facteurs, une modification capable de se transmettre. Ici, l’expérience de vie à la ferme, avec son lot de microbes, module le système immunitaire de la future mère, une « tournure » qu’elle imprime à son enfant lors de la gestation et qui lui donne, avant même sa naissance, de bonnes aptitudes pour lutter contre les allergies. « On s’est aperçu que ce sont les gènes connus pour prédisposer à l’asthme qui eux-mêmes peuvent se transformer en protecteurs de la maladie, sous l’influence de leur environnement. La génétique n’apparaît plus comme une fatalité », explique Dominique Angèle Vuitton.
L’étude PASTURE a généré la publication de près de 70 articles scientifiques de portée internationale, dont l’un sur le rôle du microbiote intestinal des enfants, paru dans la prestigieuse revue Nature Medicine. Ses résultats sont aussi relayés auprès du grand public, notamment dans le film documentaire Vive les microbes !, réalisé par la journaliste Marie-Monique Robin, à voir sur Arte en octobre, pour ceux qui n’auraient pas assisté à sa projection en salle à Besançon en mai dernier.
1 Étude conduite sous l’égide de l’université de Franche-Comté et du CHU de Besançon, avec le soutien de la Commission européenne, du ministère de la Santé, de la Mutualité sociale agricole, de l’ASEPT (Association santé, éducation et prévention sur les territoires) et de l’association Le Don du souffle.
Article paru dans le Journal en direct n°313.
Photo début d'article : Objective Eye - Adobe Stock