Jeux mosaïques : 1ère partie
Publié par Journal en direct, le 15 juillet 2024 180
Exhumés de l’Antiquité sous l’impulsion de Pierre de Coubertin, revisités, mondialisés, institutionnalisés, les Jeux olympiques mettent en compétition les idéaux et les malversations, les postures politiques et les contestations, dans une arène sacrée auréolée de performances.
Épreuves, classement, trêve… le jeu des différences
Cent ans après leur périple à travers le monde, les Jeux olympiques d’été sont de retour à Paris où ils avaient aussi été organisés en 1900, après Athènes qui les avait vus renaître de leurs cendres antiques. Des concours olympiques de l’Antiquité aux Jeux modernes, quels fils conducteurs ont-ils été tissés d’un millénaire à l’autre ? Quelles similitudes ont-elles traversé le temps ? Si les Jeux à Olympie au VIIIe siècle av. J.-C sont admis pour origine, ils ne sont pas la seule référence pour se prendre au jeu des différences.
Les jeux, du latin ludi, comme ils seront nommés plus tard, étaient à l’origine des concours, du grec agôn signifiant compétition, qui prirent un essor considérable en Grèce entre le VIIIe et le VIe siècle av. J.-C.
Mais, dès le IIe millénaire avant notre ère, ces compétitions sportives existaient déjà sur le sol hellène, elles faisaient partie du rituel funéraire entourant un décès dans les familles de la haute société. « Les témoignages de ces concours sportifs nous sont parvenus par les écrits d’Homère et par des fresques, dont l’une date de 1600 av. J.-C. », rapporte Sophie Montel, enseignante-chercheuse en histoire de l’art et archéologie du monde grec à l’université de Franche-Comté / ISTA.
Les « jeux funéraires » comportaient courses de char, pugilat, lutte, lancers de disque et de javelot, tir à l’arc, toutes disciplines qui se sont transmises au cours des siècles et de jeux qui quitteront le royaume des morts pour investir celui des dieux. Les sources historiques ne permettent pas vraiment de savoir comment s’opère ce glissement ; mais elles établissent l’origine de jeux donnés en l’honneur des dieux à Olympie en 776 av. J.-C., avec les premiers noms connus de vainqueurs aux épreuves. Olympie, puis Isthme et Némée, Delphes, les concours olympiques dits de la période (períodos) se succèdent pendant les quatre ans de l’Olympiade, en alternance autour de ces grands sanctuaires grecs.
Ce sont eux que l’on a retenus, que l’histoire connaît le mieux : les écrits antiques sont complétés par la découverte de ces grands sites archéologiques, objets de fouilles à partir de la fin du XIXe siècle. Mais la recherche récente a montré que les concours de la períodos, pour être les plus importants, n’étaient pas les seuls ; pas moins d’une centaine d’événements sportifs bâtis sur leur modèle ont été recensés à partir du VIe siècle av. J.-C. dans la Grèce antique.
Des cérémonies religieuses mêlant prières et offrandes, selon les lieux en l’honneur de Zeus, Poséidon, Apollon ou tout autre dieu de l’Olympe, encadraient des épreuves assez similaires d’un concours à un autre. « Certaines variantes tenaient aux possibilités d’organisation, mais on retrouve à peu près partout les sports de combat, lutte, pugilat et pancrace¹, les courses de char, les courses à pied, vitesse et endurance, et les lancers », raconte Sophie Montel.
À noter que des châtiments corporels sont réservés à ceux qui sont responsables d’un faux départ, et qu’il n’y a de gloire que pour les vainqueurs : les classements n’existent pas. « Les athlètes se présentent sous leur nom et celui de leur cité, qui finance leur participation aux concours et sur laquelle l’honneur rejaillit aussi en cas de victoire », explique Georges Tirologos, ingénieur en analyse des sources historiques à l’ISTA. Les vainqueurs reçoivent le droit de faire élever des statues à leur effigie, pour peu qu’ils aient les moyens de les payer ; en bronze ou en pierre, elles s’élèvent nombreuses dans les sanctuaires et les cités.
À partir du IVe siècle av. J.-C., est attestée l’existence de logements en dur pour les organisateurs, juges et arbitres, les athlètes et leurs familles étant logés sous des tentes autour du site, accompagnés de leurs animaux. « Il est difficile d’estimer combien d’athlètes participaient aux épreuves, explique Sophie Montel. Mais on sait qu’un site comme Olympie pouvait accueillir 35 000 spectateurs, ce qui laisse imaginer une certaine importance des concours ». « Les citoyens libres de toute la Grèce antique, dont le territoire s’étendait alors sur l’ensemble du pourtour méditerranéen, venaient participer à la períodos », complète Georges Tirologos.
C’est de là que la trêve olympique tire ses origines : elle était mise en place pour assurer la sécurité des participants, qui voyageaient par bateau puis à pied, parfois pendant des semaines, pour rejoindre la Grèce. « La trêve était instaurée un mois avant le début des épreuves, annoncée partout par des messagers, les hérauts, et toutes les cités l’acceptaient et la respectaient », souligne Sophie Montel.
¹ Le pugilat est l’ancêtre de la boxe anglaise, avec usage exclusif des poings ; le pancrace, plus violent, autorise quasiment tous les coups.
Des fonds privés pour la première édition des jeux modernes
En 394 de notre ère, l’empereur Théodose met fin à l’aventure olympique, une fête païenne pour le christianisme, désormais religion officielle de l’empire romain. En 1896, à Athènes, c’est sous le règne de Georges Ier qu’elle reprend le fil de son histoire.
Mille cinq cents ans se sont écoulés. L’État grec moderne est en cours de formation. Les jeux seront l’opportunité pour le roi d’asseoir sa légitimité et pour la population d’affirmer son identité, après des années de guerre contre les Ottomans et l’accès à l’indépendance en 1830. Jeune et pauvre, le pays manque cependant de moyens pour assumer un tel projet : ce sont des fonds privés qui financeront les premiers Jeux modernes. « Des dons proviennent de la diaspora grecque, mais c’est surtout à l’homme d’affaires et mécène Georges Averoff, qui restaure le stade panathénaïque, que l’on doit l’organisation des Jeux d’Athènes », raconte George Tirologos. Athènes, depuis peu capitale de la Grèce, ne compte alors que 5 000 habitants ; elle doit accueillir 250 athlètes venus de 14 pays, et 80 000 spectateurs.
« Le directeur de la police convoque tous les escrocs pour leur demander de cesser leurs activités le temps des Jeux, pour ne pas ternir l’image de la ville. Et ça marche. Le sentiment patriotique existe même chez les voleurs, qui vont jusqu’à surveiller ceux qui viennent d’ailleurs ! » Problématiques de financement, questions de sécurité, valorisation de l’image d’un pays, au-delà des aspects liés au sport et à l’éthique, Athènes inaugure les Jeux modernes selon des caractéristiques qui resteront récurrents dans leur organisation.
Retrouvez l'intégralité du dossier dans le Journal en direct n°313.
Photo début d'article : Viateur - Pixabay.