Interview avec les artistes de Life Analog

Publié par Mission culture scientifique uB université de Bourgogne, le 2 avril 2021   1.2k

LIFE ANALOG est une variation pour un fil et une goutte d’eau. Née du désir de composer à partir de ces deux formes élémentaires, l'installation convoque métaphoriquement les éléments essentiels à l'apparition et au développement de la vie. L'installation est proposée dans le cadre de la biennale Réseaux ! Partout tu tisses  et visible depuis ce lien jusqu'au 9 avril : http://cesium-133.net/lifeanal...

Voici l'interview des deux artistes à propos de l'installation Life analog

Olivier et Sandra, vous avez été invités par le Pôle Culture a participé à la biennale ArtSciences RESEAUX ! Partout tu tisses. La rencontre s'est faite avec l'équipe du Pôle Culture en novembre 2019 à l'école d'art de Chalon-sur-Saône à l'occasion d'un projet de recherche artistique "Mondes visuels" coordonné par vous-même Olivier Perriquet.

Comment le projet LIFE ANALOG est apparu ? D'où vient l'idée du titre ?

Life Analog est né d’une collaboration entre nous, qui prend la forme d’un dialogue de nos pratiques respectives - le dessin dans l’espace pour Sandra et l’expanded cinema pour Olivier. Nous l’avons exposé pour la première fois dans un cadre privé et démarché ensuite auprès d’institutions. Il s’agit d’un projet évolutif, qui donnera lieu à une résidence en décembre prochain à Lille, ainsi qu’à une exposition, à Lille également. Le titre est une référence à ce qu’on nomme en anglais Earth analog pour désigner des planètes lointaines, hors du système solaire, susceptibles de réunir les conditions propices à l’apparition et au développement de la vie. Le titre de l’œuvre est pour nous une simple métaphore, une évocation suggestive, ouvrant une fenêtre sur nos sources d’inspiration.


Avec la crise sanitaire, l'installation a été modifiée et adaptée avec une alternative en ligne.

Est-ce votre première exposition virtuelle ?

C’est en effet une toute première exposition sous cette forme, même si la pratique du réseau ne nous est pas étrangère. Olivier avait réalisé par exemple en 2013 une installation intitulée Close encounters of a remote kind, qui exploitait en direct le flux d’une webcam provenant d’un aquarium public au canada, diffusée sur internet.

 

A l'origine, le projet LIFE ANALOG devait prendre quelle forme à l'atheneum?

 En temps normal, nous aurions exposé Life Analog sous la forme d’une installation aux dimensions de la salle d’exposition. Le public pénètre dans une première pièce où lui est présentée en grand format l’image produite par le dispositif, puis dans une seconde où il découvre l’origine de cette image, tout en s’immergeant dans la sculpture filaire réalisée par Sandra. D’une pièce à l’autre les rapports d’échelle s’inversent : dans la seconde pièce, en particulier, le dispositif de captation est minuscule face à la sculpture, celle-ci occupant presque l’ensemble du champ visuel.


Comment s'est passé la réadaptation du projet pour sa forme en ligne ?

La transposition de Life Analog sous cette forme répond évidemment à une contrainte qui nous est imposée par la situation sanitaire. Néanmoins, elle rencontrait également une envie que nous avions d’explorer d’autres échelles en travaillant sous forme de maquette. Or ce format était bien adapté à une diffusion en ligne puisque l’installation ne pouvait plus être visitée physiquement. C’était donc pour nous l’occasion de nous engager dès maintenant dans l’expérimentation de cette déclinaison en dimensions réduites.

Sur un plan technique, malgré son apparente simplicité, la miniaturisation et le portage de l’oeuvre sur internet ont nécessité la résolution d’un ensemble de problèmes techniques et imposent tout au long de son exposition une veille quasi permanente. Les propriétés optiques du dispositif, par exemple, ne sont plus les mêmes à cette échelle. Cette version a également conduit Sandra à travailler avec d’autres matériaux, pour lesquels il a fallu concevoir une structure porteuse adéquate. La mise en ligne a imposé un travail de recherche préalable et une batterie de tests pour trouver les outils techniques appropriés, ainsi que l’écriture de scripts pour automatiser sa diffusion.

 

Avec LIFE ANALOG, vous invitez le public à se connecter selon une éphéméride établie qui peut toucher le monde entier à travers un réseau d'heures différentes.

Avez-vous considéré cette dimension internationale dans l'adaptation de votre œuvre ?

 Chaque élément de l’installation a son propre tempo. La goutte d’eau est sans doute le « métronome » le plus évident, mais l’ensemble se trouve pris en réalité dans un réseau de rythmes divers : le dessin filaire dans l’espace offre des rythmes pour l’oeil, l’écriture de la lumière est produite par la combinaison asynchrone de trois sources variables en lumière blanche et en lumière « noire », le focus de la caméra réagit aux variations de la goutte et des conditions lumineuses… A ces rythmes, propres à l’installation, s’en ajoute un autre : celui de sa diffusion. La périodicité que nous avons choisie n’est pas tout à fait arbitraire, elle répond en quelque sorte à des contraintes par la négative. Nous avons par exemple pris soin, en évitant les diviseurs de 24, qu’elle ne coïncide pas avec le rythme circadien, de façon à produire un décalage progressif dans le temps. Cette rythmicité produit une attente, il faut s’accorder à des éphémérides dont la temporalité est étrangère à la nôtre. Evidemment, le portage en ligne n’est plus contraint par des horaires d’ouverture au public et permet de « visiter » l’installation depuis n’importe quel endroit du globe.

 

LIFE ANALOG c'est aussi une réflexion sur la lenteur, une forme de contre-point à la situation actuelle.

Comment avez-vous pensé ce moment de "pause virtuel" ?

L’installation, de par sa lenteur et son invite à la contemplation, propose en effet une expérience aux antipodes de l’« état d’urgence » auquel les médias, la presse, le gouvernement, nous somment régulièrement de nous conformer. Cette lenteur se retrouve aussi dans la réalisation de l’installation, tout particulièrement dans le travail de Sandra, lorsqu’elle produit ses dessins. Cela peut être pris comme une pause, pourquoi pas. Mais c’est également l’occasion de prendre conscience des rythmes dans lesquels nous sommes « pris » comme dans un filet.

 

LIFE ANALOG est à découvrir dans le cadre de la biennale Réseaux ! Partout tu tisses, une invitation à voir, découvrir, penser les réseaux sous toutes leur forme.

Comment Life Analog exprime cette notion de "réseaux" ?

 C’est la dimension poétique du réseau qui nous a intéressé. Un réseau était autrefois un filet destiné à capturer certains animaux, tels que les lapins, les libellules et les éphémères… Les dessins de Sandra peuvent s’apparenter visuellement à un réseau, avec des mailles accidentées, aberrantes, celles-ci produisant un rythme pour l'oeil. Ici c’est une goutte d’eau qui capte un entrelacs de fils. L’installation inverse ainsi ce rapport, posant un paradoxe qui s’adresse à l’oeil.

 

Olivier et Sandra, pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ? Quel est votre « rôle » dans "Life Analog" ?

 Life Analog est pensé comme un dialogue entre nous. Une rencontre à la fois de nos pratiques et de nos imaginaires. La pièce se situe finalement à un endroit médian qui reflète et incarne ce dialogue. Sandra conçoit ses installations comme des dessins qu’elle réaliserait dans l’espace avec du fil pour en matérialiser les traits. Olivier a une affinité particulière pour l'optique et les systèmes de vision. La forme qu’a pris l’installation est venue assez naturellement : un objet (un dispositif de vision) observe l’autre (un dessin dans l’espace). Mais cette emprise de l’oeil a une réciproque, les mailles du dessin, dans l’installation, peuvent donner l’illusion qu’elles rendent prisonnier l’oeil qui l’observe. Peut-être ce jeu de captures est-il un langage.

 

Avez-vous l'habitude de travailler en duo ou est-ce la première fois ?

 C’est la première fois que nous travaillons ensemble.

 

Quelles sont vos influences artistiques et/ou scientifiques ?

Olivier : pour cette installation, je pourrais évoquer la lecture d’Arthur T. Winfree, un biologiste et mathématicien qui a étudié les rythmes chez les organismes vivants, je pense aussi à l’optique adaptative, une technologie utilisée dans la construction des télescopes avec des optiques « liquides », par exemple l’obtention d’un paraboloïde réfléchissant à l’aide d’un bain de mercure en rotation. Sur le plan artistique, c’est l’artiste canadien Michael Snow qui me vient à l’esprit : deux de ses films expérimentaux les plus célèbres – La région centrale et Wavelength – nous confrontent à la fois à l’absence de l’humain et à une lenteur extrême, qui invite le corps à reconsidérer ses rythmes.

 Sandra : mon travail trouve sont inspiration dans une multitude de sources, y compris artistiques, évidemment. Par exemple chez le dessinateur Koho Mori-Newton, pour ses formes répétitives, mais aussi chez des peintres comme Pierre Soulages ou Mark Rothko, chez des cinéastres comme João César Monteiro ou des chorégraphes comme Sofia Fitas, qui tous donnent à ressentir visuellement une expérience du temps. L’artiste Chiharu Shiota m’intéresse également pour la simplicité des matériaux dans ses installations... pour nommer quelques exemples.

 

Question bonus : qu'avez-vous tiré de ce travail ? Quels ont été les difficultés ? Les moments forts ?

Alors que tout était opérationnel, et que nous nous réjouissions d’avoir relevé ce défi technique pour présenter l’installation dans une nouvelle forme, originale, nous avons dû faire face à une difficulté inattendue : l’installation était hébergée sur un serveur de la société OVH qui a subi un incendie, nous rappelant brutalement que rien de tout cela n’est vraiment dématérialisé. Ironiquement, nous nous sommes amusés à penser que la goutte d’eau n’avait pas suffi à éteindre le feu… Olivier a mis en place un miroir sur un autre serveur et pendant que nous testions l’un et l’autre son bon fonctionnement, nous nous appelions au téléphone pour nous confirmer mutuellement que nous voyions bien la même chose. Il y avait quelque chose de magique, c’était comme de contempler la lune depuis deux pays différents. Nous avons réalisé que l’installation pouvait aussi amener ce genre de rituel.