Hydrogène vert, hydrogène blanc
Publié par Journal en direct, le 30 mai 2023 2.1k
Fort de ses avantages, l’hydrogène s’impose toujours un peu plus sur la route de la transition énergétique. Les recherches menées sur le sol comtois continuent d’explorer les aspects technologiques de la mise en œuvre de solutions hydrogène ; elles abordent aussi aujourd’hui la question de son exploitation comme ressource naturelle.
Le secteur des transports est responsable de 30 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Pour limiter ces impacts délétères, l’hydrogène apparaît comme une solution séduisante sur laquelle se concentrent beaucoup d’efforts en termes de recherche et d’investissement. C’est qu’un moteur électrique alimenté par hydrogène ne produit qu’un peu d’eau… Cependant des verrous restent à lever pour que ce vecteur d’énergie puisse tenir ses promesses d’un point de vue environnemental.
L’hydrogène est aujourd’hui essentiellement produit à partir d’énergies fossiles ; il est aussi possible de le fabriquer par électrolyse de l’eau, et de façon verte dès lors que l’électricité nécessaire au procédé est fournie par le soleil : c’est ce schéma que les spécialistes en énergie de l’Institut FEMTO-ST développent depuis des années, et qui est à la base de tous leurs travaux. Recourir à des matériaux de moindre impact écologique est également un objectif des chercheurs ; c’est le cas pour la fabrication des réservoirs ou encore des piles à combustible (PAC) qui, intégrées à la chaîne de traction d’un véhicule, transforment l’hydrogène embarqué en électricité pour alimenter le moteur.
Pour des PAC plus vertes
Les piles à combustible disponibles sur le marché sont équipées de catalyseurs platine, dont les bonnes performances sont soumises à contrepartie : un coût prohibitif et une dépendance géostratégique, puisque ce métal noble provient pour 90 % d’Afrique du Sud et de Russie. Pour pallier ces inconvénients, chercheurs et ingénieurs ont mis au point une PAC fonctionnant sur un mode physicochimique différent, permettant de recourir au nickel comme catalyseur, en lieu et place du platine. Le physicien Bernard Gauthier-Manuel a exploité son expérience de recherche au département MN2S de l’Institut FEMTO-ST pour mettre au point cette innovation. En mars 2022, il a créé une start-up avec l’entrepreneur Jean-Patrick Corso, en vue de développer et de commercialiser le nouveau concept de PAC.
« C’est la fabrication de membranes anioniques à base de silicium poreux qui a ouvert la voie à cette innovation. Trois brevets ont été déposés, chacun correspondant à un format particulier de membrane et donc à des applications en rapport, par exemple la mobilité légère, pour équiper les vélos, les chariots élévateurs... Un développement est prévu pour les véhicules de moyenne puissance comme les voitures. » Ces membranes peuvent donc être associées à des catalyseurs nickel, dont les responsables de CLHYNN rappellent qu’il est « mille fois moins cher et dix mille fois plus abondant que le platine, et présent sur tous les continents. »
Un autre brevet concerne cette fois la question du stockage de l’hydrogène, ou plutôt de son non-stockage, puisqu’il veut valider la possibilité de produire de l’hydrogène à la demande, directement sur un véhicule, à partir de l’eau produite par la PAC. « En augmentant la surface spécifique du silicium hydrogéné, il devient possible, à température ambiante, d’obtenir de l'hydrogène en décomposant de l'eau. » Cette innovation pourrait permettre d’assurer la disponibilité de l’hydrogène dans des milieux contraignants ou isolés, n’autorisant pas de recharge par des moyens classiques.
L’hydrogène blanc, produit de la terre
Produire de l’hydrogène est un enjeu de base, dont dépend toute la filière… Et s’il était également possible d’en exploiter des gisements natifs ? L’hydrogène naturel, aussi appelé « hydrogène blanc », s’échappe continuellement du fond des océans ou de la surface des continents. Quelles sont les conditions et les mécanismes de sa formation ? Quels chemins emprunte-t-il depuis les zones profondes de formation jusqu’à la surface de la terre ? Existe-t-il des endroits de stockage naturel de l’hydrogène au même titre que les gaz associés aux hydrocarbures ? Les géologues s’intéressent aujourd’hui de près à ces questions, comme au laboratoire Chrono-environnement où des chercheurs spécialistes du comportement des roches mettent leurs compétences au service de cette nouvelle problématique. « Les objectifs sont de comprendre les mécanismes et conditions de production de l’hydrogène, de quantifier les flux et les ressources, enfin de déterminer, en partenariat avec des industriels, s’il est économiquement viable d’envisager son exploitation », commente Philippe Goncalves, qui partage aux côtés d’Hélène Celle la responsabilité des recherches menées à ce sujet à Chrono-environnement, dont l’équipe de géologues vient de se renforcer avec l’obtention d’une chaire de professeur junior 1 dédiée.
Les chercheurs partent de l’hypothèse la plus admise d’une formation d’hydrogène par oxydation du fer contenu dans les roches au contact de l’eau. « Plus que la nature de la roche elle-même, il s’agit d’évaluer les conditions les plus favorables à la production naturelle d’hydrogène en quantifiant le rôle de la pression, de la température, de la chimie de la roche et des fluides. » La majorité des travaux de recherche s’étant focalisée ces dernières années sur la croûte océanique, qui constitue un réservoir important en fer, les géologues de Chrono-environnement orientent leurs recherches sur la croûte continentale, qui fournit régulièrement les symptômes du transfert de l’hydrogène depuis les profondeurs du sol, où il naît à quelque 300° C.
En Europe de l’Est, en Russie, en Turquie, les émanations de gaz prennent l’allure de « chimères » ; au Mali, l’une d’elles procure de l’hydrogène quasi pur et est exploitée depuis plusieurs années pour l’éclairage des villages à proximité ; au Canada, au Brésil, des « ronds de sorcière » marquent par une végétation appauvrie la présence du gaz. L’hydrogène blanc pourrait s’apparenter à une ressource renouvelable, à condition que son rythme d’extraction respecte sa vitesse de génération. « Peut-être existe-t-il des poches d’hydrogène dans les roches, s’interroge Philippe Goncalves. Mais comment stocker l’élément chimique le plus petit sans qu’il s’échappe ? »
C’est l’une des nombreuses questions que pose ce domaine d’investigation encore neuf. L’élaboration de « guides de prospection » est envisagée à partir d’un modèle géologique sur lequel les chercheurs de Chrono-environnement travaillent en collaboration avec la start-up 45.8 Energy. La société mosellane spécialisée dans la détection d’hélium et d’hydrogène naturels a obtenu un permis exclusif de recherches sur un secteur couvrant plus de 300 km² à l’ouest de Besançon : les investigations de terrain et les outils de simulation pourront ainsi nourrir ce modèle de leurs données et projections respectives.