Fièvre complotiste
Publié par Journal en direct, le 19 juillet 2023 540
L’importance des théories conspirationnistes qui ont entouré la Révolution française est à la mesure du bouleversement incroyable qui saisit la France en 1789. Comme incapables de croire que la ferveur et l’élan collectifs aient pu enfanter cette « année sans pareille », nombre des contemporains de cette fracture historique ont voulu en trouver ailleurs les explications. « Une révolution tirant un trait sur mille ans d’histoire, faisant table rase de l’édifice politique, social, religieux et culturel, cadre immuable dans lequel vécurent pendant des siècles et des siècles les Français, une telle révolution était tout bonnement impensable, était tout bonnement inconcevable », écrit Edmond Dziembowski, qui replace le lecteur dans le contexte de l’époque dans son ouvrage La main cachée.
Professeur émérite d’histoire à l’université de Franche-Comté, membre du Centre Lucien Febvre, Edmond Dziembowski met au jour cet aspect méconnu de l’histoire de la Révolution, tout en se gardant de vouloir l’aborder de manière exhaustive : la tâche paraît irréalisable, autant en raison de l’abondance des sources documentaires que de la nature même du phénomène complotiste. L’auteur s’attache à « retracer l’histoire d’une croyance, celle des origines occultes de 1789 », en suivant cependant les nombreuses pistes qui l’ont bâtie.
La Révolution aurait été « préparée dans le plus grand secret » et tour à tour par les philosophes, les protestants, les Francs-maçons et les Britanniques, et plus précisément par certaines de leurs illustres figures : « 1789 n’a pu naître que dans le cerveau pervers et déréglé d’un écrivain forcené [Voltaire], d’un prince du sang dégénéré [le duc d’Orléans], d’un banquier genevois dévoré d’ambition [Jacques Necker, ministre des finances français], ou d’un politicien insulaire gonflé de haine pour la France [William Pitt, premier ministre britannique] », résume-t-il pour témoigner avec force de l’existence de cette « histoire parallèle ». Edmond Dziembowski en note les conséquences, il relaie par exemple la conviction, à propos du dirigeant d’outre-Manche, que « derrière la figure du ministre se dresse celle d’une nation plus que jamais prête à tous les forfaits pour assouvir sa soif de domination mondiale ». L’opprobre gagnera jusqu’aux bancs de la Convention : le Parlement qui fonde la Première République aux lendemains de la Révolution déclarera Pitt « ennemi du genre humain ».
Faits inventés de toutes pièces, interprétations abusives, pseudo-preuves, absence de traces..., les complots soi-disant fomentés pour faire éclater la Révolution n’ont pour la plupart aucun fondement véritable et relèvent du domaine de l’imaginaire. La force et la portée de la « main cachée » ont cependant été bien réelles, un constat qui résonne étrangement aujourd’hui, alors que la désinformation marque notre époque de façon stupéfiante. Edmond Dziembowski établit des liens entre les événements et les époques, pour mieux mettre en lumière la source et la puissance du phénomène complotiste à l’aune d’une des plus grandes pages de l’histoire de France.
Retrouvez deux autres ouvrages de l'auteur, La guerre de Sept Ans, 1756-1763 (numéro 263) et Le siècle des révolutions, 1660-1789 (numéro 285) dans le journal en direct.