Fabriquer du fromage s'apprend à l'université
Publié par Journal en direct, le 26 avril 2022 820
Fleurons d’un savoir-faire lié à la géographie, à l’histoire et à la culture de toute une région, les fromages au lait cru du massif jurassien emportent l’adhésion jusqu’au cœur de l’université de Franche-Comté, où une licence professionnelle forme aux métiers de la
fromagerie au sein du département de Géographie et Aménagement de l’UFR SLHS, et du laboratoire ThéMA.
Ce n’est pas le mot fromage qu’on associe de prime abord à celui d’université, pourtant l’université de Franche-Comté développe depuis quatorze ans et avec succès une formation en industries agroalimentaires axée sur la fromagerie de terroir, avec le lait cru pour ingrédient de base. Une licence professionnelle, exactement intitulée Responsable d’atelier de productions fromagères de terroir, fruit de la collaboration de l’université avec les Écoles nationales d’industrie laitière de Franche-Comté (ENIL de Mamirolle et Poligny) et le Centre technique des fromages comtois (CTFC), outil d’appui technique aux fromageries, implanté à Poligny. D’une durée d’un an, la licence est accessible en apprentissage, en contrat de professionnalisation et en formation initiale à tous les amoureux de fromage porteurs d’un projet professionnel bien construit.
Vache, chèvre, brebis…, la fabrication d’un fromage au lait cru requiert un grand savoir-faire et des connaissances multiples. « C’est le stade ultime d’un processus qui démarre dans les prairies, chez l’animal et dans sa nourriture, dans un contexte de vie qui se poursuit jusque dans la cave d’affinage », explique Pascal Bérion, enseignant-chercheur en aménagement de l’espace et urbanisme, responsable pédagogique de la licence. Un processus enraciné dans un environnement naturel et social particuliers : maîtriser l’aspect technologique de la production ne saurait suffire pour appréhender la complexité d’une matière vivante et la spécificité d’un terroir, qui fondent le caractère des produits.
Le programme de la licence couvre ainsi un large éventail d’enseignements : le rôle des bactéries et des ferments lactiques, les phénomènes d’affinage, les technologies fromagères liées au label AOP, le contrôle qualité des procédés et des produits, les règlements sanitaires, les composantes naturelles, historiques et paysagères des terroirs, les risques professionnels… Théoriques ou pratiques, les cours sont tous dispensés dans les ENIL de Mamirolle et de Poligny. Une solution simple et efficace, pour une organisation optimale : « Entre deux cours, les étudiants s’occupent des fromages qu’ils ont étudié ou fabriqué le matin, et contrôlent le bon déroulement de l’affinage. Ils sont à pied d’œuvre et en bottes blanches à 6h30 lorsque les cours se déroulent en « halle technologique », témoigne Pascal Bérion.
Dès la deuxième semaine de formation, ce sont des bottes vertes qu’ils chaussent pour aller traire les vaches et se familiariser à l’écosystème microbien entourant la production du lait, dans une exploitation agricole. « C’est un contexte qui varie d’une ferme à l’autre, de jour en jour, en fonction de paramètres comme la température, l’hygrométrie, le type de couchage des animaux, la préparation de la mamelle pour la traite… » Comté, bleu de Gex, morbier, mont d’or… à la fin de l’année, les futurs responsables d’atelier possèdent les connaissances requises pour transformer du lait cru en fromage, un savoir-faire dont on ne soupçonne sans doute pas toute la complexité quand on le déguste dans nos assiettes. Et une responsabilité importante, d’un point de vue tant sanitaire que financier.
Concurrents et complices
Photo : Maxim Golubchikov (Shutterstock)
La licence cible en premier lieu la production fromagère du massif jurassien et s’intéresse ainsi naturellement aux pratiques développées de l’autre côté du Doubs. L’écosystème alpin et la pratique de l’élevage extensif ou semi-extensif qui caractérisent la région sont à l’origine de savoirs communs, qui ont pris des directions différentes au fil du temps. Aux XVIIIe et au XIXe siècles, c’était la Suisse qui fournissait le massif en fromages, et les techniques de fabrication développées alors ont peu à peu été importées côté français.
La Montbéliarde, race dominante des troupeaux bovins du massif, est née de la patiente sélection d’animaux venus de Suisse. Aujourd’hui, c’est dans les systèmes de transformation du lait que se situent les caractéristiques les plus discriminantes : côté français, le fromager est souvent salarié d’une coopérative fromagère, parfois d’un établissement privé, ou son propre patron ; côté suisse, les propriétaires de la fromagerie sont des agriculteurs qui généralement vendent le lait et louent leur matériel aux fromagers, un fonctionnement fondé sur le principe de l’amodiation.
Issus d’une même culture, voisins français et suisses se retrouvent en compétition sur les étals des marchés. Les appellations fromagères sont parfois sources de tensions. Vacherin ou mont d’or, comté ou gruyère se sont trouvés au cœur de bien des discussions houleuses, l’appellation gruyère provoquant même actuellement des remous jusque de l’autre côté de l’Atlantique, où la justice américaine, voulant le qualifier de terme générique comme d’autres avant lui, se heurte au tollé des fromagers suisses et français, ici réunis dans un même combat indigné.
Un caractère spécifique, mais pas exclusif
Photo StockMediaSeller (Shutterstock)
Si l’histoire et la culture régionales, liées à l’originalité du massif jurassien, incitent naturellement les responsables et les étudiants de la licence à s’intéresser aux pratiques prévalant dans les AOP comtoises, l’enseignement se tourne également vers celles qui ont cours dans d’autres régions et dans d’autres pays, tels que le Japon ou le Canada. « Le savoir-faire et la connaissance ne peuvent que s’enrichir des apports d’autres conceptions et d’autres techniques liées à la transformation du lait cru ; la spécificité qui est la nôtre ne doit pas faire oublier l’avantage qu’il y a à découvrir d’autres horizons. »
Cet esprit d’ouverture se constate également dans le recrutement, à bac + 2 minimum, de la bonne vingtaine d’étudiants que compte chacune des promotions de la licence. Certains sont titulaires d’un BTS agroalimentaire ou d’un DUT en génie biologie, d’autres, master ou diplôme d’ingénieur en poche, ont suivi des études en géographie ou en sociologie. D’autres encore ont quitté un poste d’architecte, de technicien ou de trader pour se reconvertir et prendre de nouvelles orientations de carrière. Les bancs de cette école atypique comptent aujourd’hui un peu plus de filles que de garçons, après qu’elle a aidé les mentalités à se débarrasser d’un a priori concernant les capacités physiques des filles à assumer les tâches très physiques liées à l’exercice de la profession.
« Les deux-tiers des étudiants travaillent dans des fromageries du massif du Jura et des Alpes du Nord. Le partenariat avec les ENIL, le CTFC et les fromageries, tous impliqués dans la construction de la formation, est fondamental pour la pédagogie et l’insertion des diplômés. » Les étudiants proviennent de différentes zones géographiques en France, voire de l’étranger : la licence intéresse par exemple des repreneurs d’exploitations agricoles qui veulent compléter leur activité première par la fabrication de fromages et tendre vers un statut de paysan fromager. « Les critères de sélection prioritaires sont la motivation ainsi que la finalité et la cohérence du projet professionnel des candidats. Le panachage des profils apporte une vraie valeur ajoutée à une promotion », souligne Pascal Bérion. Et qui sait, peut-être même au caractère du fromage ?
Photo 1 : Pixabay
Article paru dans en direct, n°299, mars-avril 2022
Contact :
Université de Franche-Comté
Pascal Bérion
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