Antiquité et pub TV

Publié par Journal en direct, le 30 mai 2023   940

Cléopâtre ou César ont toujours servi les ambitions de la publicité, s’affichant sur le petit écran pour vanter les mérites de sodas, savons et autres produits de grande consommation. Comment la publicité TV utilise-t-elle les références à l’Antiquité ? C’est l’une des questions abordées dans une thèse d’histoire romaine développée à l’ISTA.

Image Denis Azarenko - Pixabay

En 1983, la publicité télévisée Terra, de Johnson, plongeait César dans des préoccupations très… terre à terre, puisqu’il s’agissait de s’occuper de la beauté du sol de son palais pour mieux plaire à Cléopâtre. L’espièglerie de l’esclave Solcarlus interprété par Jean-Marie Proslier, pourtant menacé d’être jeté aux lions, donne toute sa saveur à la séquence.

Quarante ans plus tard, le spot humoristique figure toujours au panthéon de la pub des années 1980. En 1986, la non moins fameuse publicité pour Cleopatra, utilisant la sensualité pour ressort, estimait que « ce nouveau savon pourrait bien faire changer la face du monde ». Plus récemment, en 2015, les spots Invictus de Paco Rabanne ou Eros de Versace évoquaient la mythologie grecque pour sublimer l’image de ces parfums grâce à des mannequins-éphèbes tout-puissants.

Les personnages iconiques, les divinités de l’Olympe, l’armée, les jeux du cirque et les esclaves de l’empire romain, les pyramides et les momies d’Égypte sont autant d’images de l’Antiquité tournées en dérision ou à l’inverse magnifiées, auxquelles la pub a recours pour séduire et vendre. Dans la thèse en histoire romaine qu’elle prépare à l’Institut des sciences et techniques de l'Antiquité (ISTA) à l’université de Franche-Comté, Claire Mercier étudie comment la publicité a décliné les références à l’Antiquité sur le petit écran entre 1968 et 2018.

Le corpus, pourtant estimé assez complet, se limite à cent trente spots seulement sur la période, une exception culturelle pour une industrie produisant des milliers de nouvelles pubs TV chaque année ! « Il est facile de jouer avec l’Antiquité, qui ouvre à de nombreuses possibilités de création, mais en même temps cela suppose des costumes, des décors, une mise en scène souvent onéreuse », explique Claire Mercier. La rareté a pour elle de marquer les esprits. Malheureusement, les messages ont recours à des clichés dangereusement réducteurs. La publicité n’a certes pas vocation à éduquer les foules, mais elle contribue ici carrément à entretenir une étroitesse de vue dans un contexte d’appauvrissement des connaissances.

Des références de plus en plus basiques

Pour Claire Mercier, « si la publicité à la télévision utilise l’Antiquité depuis toujours, son évolution sur cinquante ans montre que les références historiques se font de plus en plus basiques ». Au début des années 1970, lorsque Coluche délaissait sa lyre pour manger une glace devant un bâtiment antique en flammes, dans un spot très court scandé par le slogan « Il fait chaud, mangez Danino », on comprenait sans que rien ne l’explique l’allusion au grand incendie de Rome sous le règne de Néron. « Aujourd’hui, les références ne sont plus aussi évidentes, car on apprend moins l’histoire antique à l’école, et le latin et le grec ne sont plus autant enseignés. Pour être comprise, la publicité utilise le plus petit dénominateur commun culturel ».

Les Romains en sont ainsi réduits à leur appétence pour la guerre et les orgies, et leurs talents de bâtisseurs par exemple sont passés sous silence ; les Grecs sont assimilés à leurs dieux, à leur esthétique physique et à leur puissance : oubliés la philosophie et les fondements de la république de la Grèce antique. Seule une publicité produite dans les années 1990 pour un tapis d’éveil évoquait ce passé prestigieux ; elle mettait en scène un bébé portant le nom de Socrate… « La publicité est un miroir incroyable de l’évolution de la société ; elle mérite à ce titre d’être considérée comme un patrimoine, que peuvent mettre à profit autant la recherche universitaire que la stratégie entrepreneuriale », souligne Claire Mercier.

Trait d’union entre histoire et marketing

Un DEA en histoire romaine ne lui ayant pas ouvert les portes voulues, Claire Mercier s’oriente vers un tout autre domaine à la fin de ses études : après quelques années dans le marketing, elle crée sa société de merchandising, optimisant pour les entreprises l’implantation de leurs produits en grande distribution, à partir de logiciels dédiés.

Mais sa prédilection pour l’Antiquité reste intacte. En 2018, près de vingt ans après l’obtention de son diplôme, elle décide de reprendre ses études. À l’ISTA, Antonio Gonzales accepte et dirige dès lors ses travaux. La réception de l’Antiquité par la publicité télévisuelle de 1968 à 2018 : entre réalité historique, stratégie marketing et mythologie contemporaine devient son sujet de recherche, et tend un lien habile et original entre sa passion de toujours et son activité commerciale, qu’elle continue de mener en parallèle.

Ce n’est pas tant la vérité historique que traque la chercheuse à travers la publicité sur petit écran, mais bien les représentations de l’Antiquité qu’elle donne à voir. Savons, sodas, produits ménagers, chocolats, transports de colis, crédit, voitures, parfums…, des produits de toutes catégories se prêtent à un enrobage antique. « La publicité, comme la culture populaire de manière générale, fait d’autant plus notre éducation historique que celle-ci s’absente des maquettes d’enseignement. Identifier ce qu’elle véhicule constitue une base de connaissances importante pour pouvoir aller vers le grand public et le faire revenir à l’histoire, sachant l’attrait qu’exerce sur lui la période de l’Antiquité. » Un rôle sociétal que Claire Mercier met d’ores et déjà en pratique avec la signature d’un contrat avec le MuséoParc Alésia, et la prévision de cours sur le sujet.